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Portfolio

Le Luxe abordable, un nouvel objet du désir

By 2 February 2017No Comments

Le luxe abordable, c’est un peu le beurre et l’argent du beurre. Le chic sans se ruiner et sans « prise de tête ». Ce segment apparu relativement récemment dans différents domaines – après que les pionniers l’ont esquissé dans la mode – intrigue, paré de vertus glamour telles que la croissance rapide et profitable, la fidélité des clients rassemblés en communautés ou la capacité à s’internationaliser. Pour autant, si des comètes comme le groupe de prêt à-porter Sandro Maje Claudie Pierlot (SMCP, une trajectoire canon entre la quasi-faillite et une vente à 1,3 milliard d’euros en moins de 10 ans) ont donné envie à certains de se lancer sur ce marché, les effondrements fracassants de mastodontes des vêtements bon marché comme Vivarte ont fait dire à d’autres qu’ils ne risqueraient plus jamais, ne serait ce qu’un bouton, sur une boîte de fringues.

LES CONTOURS DU FLOU

Soyons clairs sur les termes. Par postulat, le luxe n’est pas abordable, même en seconde main (n’en déplaise à Yoox/Net-a-porter et videdressing. com). Donc, qu’entend-on par l’oxymore luxe abordable ? Des investisseurs tentent de répondre à cette question piège. « Il s’agit d’une notion à géométrie variable, reconnaît Eric Bismuth, président de Montefiore. Pour autant, on peut considérer qu’il recouvre le segment prix entre 200 et 1000 euros. Les clients viennent soit du luxe pour trouver un esprit plus décontracté et plus décalé, soit montent au contraire en gamme avec des produits moins intimidants que le luxe traditionnel. » Voilà pour les prix. « Le luxe abordable ou les marques aspirationnelles utilisent les codes du luxe de façon décomplexée et naturelle, c’est l’anti estime Frédéric Biousse, ex-codirecteur général de SMCP qui a, depuis, fondé la société d’investissement Experienced Capital Partners, justement dédiée à ce segment. Nous avons créé ce business model il y a une quinzaine d’années chez Comptoir des Cotonniers (repris par le japonais Uniqlo, ndlr) et l’avons poursuivi ensuite chez Sandro Maje. » Depuis, avec sa casquette d’investisseur, il a choisi d’investir dans de jeunes marques fun et modernes, telles le Slip Français (compter une trentaine d’euros quand même pour acquérir un sous-vêtement made in France) dont il a pris 36,5 % des parts. Experienced Capital Partners a aussi cru en Balibaris (mode masculine), Maison Standards (e-shop de basiques intemporels), Sœur (mode féminine) ou encore les chemises Figaret.

LES CAUSES DU SUCCÈS

La demande pour le luxe se développe dans les pays émergents, et les boutiques et corners de marques premium fleurissent partout. Le mass market a, lui, aussi posé ses jalons dans le monde entier, uniformisant les façades des rues et des centres commerciaux de toutes les villes moyennes ou grandes. Les mails géants comme IAPM à Shanghai proposent des marques telles que Stella McCartney, Alexander McQueen, Alexander Wang, Chloé, Maje, Balmain et Michael Kors. Le marché chinois et le boom de sa classe moyenne représentent en effet un incroyable réservoir de consommateurs. Or, lassée d’acheter des produits omniprésents et mondiaux, une nouvelle «tribu» recherche dans les griffes qu’elle consomme à marquer sa personnalité, sa différence et son originalité, voire à raconter une histoire. « Cette vague de demande pour des produits ni luxe ni mass market s’est répandue à travers le monde et, en revenant de la côte ouest américaine, s’est teintée de valeurs un peu “hipste”, retrace Frédéric Biousse. Cette génération recherche des produits authentiques, respectueux, de qualité et avec des valeurs qui ont infusé dans toutes sortes de marchés. À Paris, ce sont des gens qui mangent chez Septime, qui prennent leur épicerie chez Maison Plisson, et se lavent les mains avec Aésop. Chez eux, ils utilisent des produits Apple ou Bose. »

L’IMPORTANCE DE L’ÂME

Zadig & Voltaire, Princesse Tam Tam, Agnès B, BA&SH (dans le portefeuille de L Catterton depuis 2015), ou Fhe Kooples (dont LBO France détient 20 % du capital) en France, Theory ou Kate Spade aux Ftats-Unis sont autant d’exemples de ces marques. Mais pour investir dans l’une d’entre elles, il importe comme dans toute opération de capital investissement de s’assurer de la qualité du management.
« Nous pensons qu’il est important de s’appuyer sur un design créatif et différencié, à l’image d’Isabel Marant, qui incarne parfaitement le chic créatif parisien en France et à l’international, précise Eric Bismuth, chez Montefiore. Dans ce métier, le marketing seul ne suffit jamais pour réussir. Les clients doivent avant tout percevoir la qualité et le caractère unique des produits, et s’identifier parfaitement à la cohérence de la marque. Alors seulement, l’image de marque se renforce à travers la communication, le choix et la maîtrise des canaux de distribution, et le digital, le tout devant communier en résonance. » Davantage positionnés sur les marques plus récentes, ECP a également un profil type : « Il faut un fondateur génial, capable d’imaginer des produits différenciants au bon prix, explique l’investisseur. Nous voulons aussi voir une boutique, on ou off line, pour comprendre l’univers particulier à cette marque. Et enfin, il faut que cet univers soit réplicable. »

LES RECETTES POUR GRANDIR

Pour faire éclore une belle marque, les leviers restent assez classiques. « L’international représente déjà 80 % du chiffre d’affaires d’Isabel Marant, mais il faut poursuivre le développement en s’implantant dans des territoires où il y a encore beaucoup à faire, comme aux Etats-Unis ou en Asie, prévoit Eric Bismuth. Nous envisageons de poursuivre l’innovation produit et créer de nouvelles catégories pour répondre aux attentes des clientes et être suffisamment diversifié. Enfin, il est très important de garder le contact avec des consommatrices fidèles qui sont les vraies avocates de la marque, et maintenir une animation de cette communauté, avec un important volet digital. » De plus, Isabel Marant diffuse deux marques, avec deux gammes de prix, entre lesquelles piochent les clientes. Pour les entreprises du portefeuille de l’équipe de Frédéric Biousse, tout un arsenal est mis à disposition des participations. « En tant que société d’investissement, nous investissons notre argent et celui de proches, et nous pouvons être très actifs sur l’opérationnel, contrairement aux fonds de private equity, explique celui qui a vécu sept LBO comme manager. Nous sommes 15 professionnels. Nous avons ouvert des magasins dans 34 pays, jusqu’à 110 boutiques par an. Nous avons donc l’expérience de l’exécution, ce qui représente la principale difficulté du métier. Nos experts aident nos entreprises car il y a des recettes qui fonctionnent pour aller vite. Par exemple, chez Balibaris, nous avons revu le sourcing, amélioré la qualité sans toucher au prix, et ouvert 30 magasins en un an. En deux saisons, nous avons gagné 20 points de marge brute. »

COMMENT SORTIR ?

Sandro Maje a vécu deux LBO avant d’être cédé à un géant du textile chinois. Shandong Ruyi Technology Group est principalement actif sur le marché du textile, avec une présence tout au long de la chaîne de valeur, de la culture des matières premières à la vente de vêtements en passant par le design et la production. Conglomérat de plus de 20 filiales, il a pu débourser 1,3 milliard d’euros pour racheter le groupe détenu majoritairement par KKR. La Chine représente donc à la fois un marché et un vivier d’acquéreurs potentiels. Car tout le monde n’est pas forcément tombé sous le charme du luxe abordable : « Certains fonds de private equity se sentent à l’aise sur ce type de segment et ont réalisé avec succès plusieurs investissements dans le secteur, remarque le président de Montefiore. Le marché intéresse également d’autres investisseurs, comme les familles et les fonds souverains. En effet, ils comprennent les logiques de déploiement de long terme de marque, avec un potentiel très fort de création de valeur et une approche patrimoniale. » En France, l’investisseur historique spécialiste du luxe abordable reste L Catterton (ex-L Capital), lancé par LVMH. Petit à petit, le luxe abordable se fait aussi une place dans d’autres domaines que la mode. De façon connexe, les accessoires s’y prêtent : Experienced Capital Partners a ainsi récemment investi dans le créateur de lunettes Jimmy Fairly. On retrouve aussi le luxe abordable dans la nourriture, les cosmétiques ou encore le voyage. Car finalement, tout cela reste une question de style.

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