Conjoncture économique dégradée, mise en place progressive de la nouvelle réglementation bancaire Bâle III, attentisme des fonds de capital-développement… Un grand nombre de PME souffre d’un accès au crédit insuffisant. Nouveau bras armé du gouvernement, la Banque publique d’investissement pourrait insuffler une dynamique au tissu des PME françaises.
Des PME en mal de financements
Dans son dernier rapport consacré au financement desPME et des entrepreneurs, l’OCDE a montré que 74% des financements alloués dans la zone euro étaient d’origine bancaire, contre seulement 24% outre-Atlantique. La tendance est exacerbée en France, où la proportion atteint 90%, ce qui représente, au niveau des crédits de trésorerie bancaire, deux cents milliards d’euros. Pérenne jusqu’à la crise financière de 2008-2009, ce schéma pourrait se trouver ébranlé, notamment par l’entrée en vigueur des nouvelles normes prudentielles imposées par Bâle III en 2014. Ces dernières se traduiront dans les faits par l’augmentation des fonds propres pour les établissements bancaires de Tordre de 2% à 7%. Une augmentation sensible, en contrepartie de laquelle les banques seront incitées à se montrer plus regardantes dans leurs critères d’attribution des crédits. Si bien que de nombreux experts s’accordent aujourd’hui à dire que le volume de prêts accordés pourrait diminuer de 10% à 20% à court terme. Premières victimes, lesPME hexagonales ne pourront pas non plus pleinement compter sur le private equity, qui peine à retrouver des couleurs. Entre 10% et 20%, les montants levés par le capital développement ont ainsi diminué de 2%, passant, en valeur, de 1939 millions d’euros à 1891 millions d’euros.
La BPI à la rescousse
Promesse de campagne emblématique des dernières élections présidentielles, la Banque publique d’investissement a finalement vu le jour le 1er janvier dernier. Elle ambitionne en premier lieu de simplifier l’accès aux financements publics grâce au regroupement, au sein d’une seule entité, de l’ensemble des dispositifs déjà existants, à savoir Osée, le Fonds stratégique d’investissement (FSI), FS1 régions et CDC Entreprises. Un guichet unique au niveau des régions sera donc accessible aux TPE et PME industrielles, innovantes et exportatrices, principalement dans les “secteurs stratégiques d’avenir“ comme la transition énergétique, le numérique ou l’économie sociale. Un pari ambitieux, pour lequel l’institution, détenue à parité par l’État et par la Caisse des dépôts, disposera d’une force de frappe globale de quarante-deux milliards d’euros, dont douze milliards seront mobilisés d’ici 2017 pour financer les entreprises, investir en capital et, éventuellement, intervenir sur l’accord de crédits d’exportation.
Une concurrence déloyale ?
Structure innovante, BPIFrance n’en suscite pas moins les interrogations de certains, qui voient en elle une source de concurrence déloyale pour les fonds d’investissement et les banques. Mais loin de vouloir concurrencer qui que ce soir, l’établissement souhaite davantage pallier les carences de marché et devenir un acteur complémentaire des fonds de private equity pour permettre de compléter les tours de table, sur le modèle de la Corée du Sud ou du Japon par exemple. Son directeur général, Nicolas Dufourcq, a ainsi fair savoir que ses prises de participation ne se feraient que par cofinancement avec les banques ou les fonds de private equity, ce qui évacue tout risque de concurrence frontale avec ces établissements. Enfin, les objectifs de retour sur investissement diffèrent eux aussi sensiblement de ceux affichés par le secteur privé. Ils sont conformes à ceux du FSI (6%), et de CDC Entreprises (2%),quand ceux affichés par Axa PE, établissement dont la taille est peu ou prou identique, vont de 9% à 46%. De quoi susciter l’enthousiasme de nombreux fonds de la place, qui envisagent désormais de nouer des partenariats avec BPl France en vue de revitaliser le tissu productif français.
Les banques jouent-elles leur rôle de manière satisfaisante en ce qui concerne le financement des PME?
Éric Bismuth. Le financement des PME a été perturbé lors de la crise financière de 2009. Pendant cette période, indépendamment de leur qualité, elles ont ressenti un frein au financement de leur exploitation et de leurs investissements, qu’il s’agisse de disponibilité de crédits ou de délai de mise en œuvre de ceux-ci. La situation s’est améliorée dès que les outils macroéconomiques ont été mis en place pour gérer les problématiques de liquidité des banques. Si bien qu’aujourd’hui, lesPME de qualité sont financées sans difficulté et à des niveaux satisfaisants. C’est d’autant plus vrai que les banques sont désormais relayées par de nouveaux acteurs, comme les fonds de dette privée ou les investisseurs en direct dans lesobligations émises par les PME les plus prometteuses.
Le private equity est-il aujourd’hui un mode de financement efficace pour les PME?
Les PME sont confrontées à différents types de défis. D’une part, un besoin de capital pour financer leur développement organique ou externe. D’autre part, concernant le renforcement de fonds propres pour réduire la dette, qui a souvent été mise en place dans les années 2006-2007 sur la base de business plans peu réa listes. A ce titre, de plus en plus de dirigeants cherchent à sortir des schémas sponsorless ou trop “leveragés“, qui ont obéré la capacité de développement de leur entre prise. Enfin, on peut ajourer la transmission progressive de capital. De nombreux dirigeants fondateurs n’ont en effet ni la possibilité, ni le désir de transmettre leur entreprise à leurs enfants et cherchent de tait à organiser leur désengagement progressif ce qui implique d’assurer à la fois Ja transmission et le développement de la société. Le capital-investissement constitue une réponse privilégiée à l’ensemble de ces défis. En effet, en plus d’être capitalistique, l’apport des fonds est également opérationnel et stratégique. Ces expertises, qui reposent sur une stratégie de spécialisation sectorielle forte et des méthodologies adaptées à chaque segment, permettent aux PME de devenir des ETI, souvent internationales.
Pour autant, les financements apportés aux PMEpar leprivate equity sont-ils suffisants ?
Quitte à être à contre-courant du discours dominant, je n’ai pas le sentiment que le simple fait d’ouvrir les vannes du capital ou du crédit soit la réponse à tous les maux. Si nous avons moins d’ETl que l’Allemagne par exemple, c’est parce que les PME allemandes sont pensées dès le départ comme de futures ETI, qu’elles investissent davantage en technologie et en développe ment international, et qu’elles évoluent dans un environnement économique et fiscal stable et favorable. Ces évidences ont été démontrées à de multiples reprises par des économistes de tous bords. Il importe donc d’assumer un consensus national autour de ces questions pour relancer la machine de manière durable. Notre pays dispose de grandes entreprises internationales remarquables, mais il faut impérativement en fabriquer de nouvelles. Et la création d’emplois à grande échelle ne peut se faire que dans les PME. Toutes ces problématiques sont d’ailleurs inscrites au cœur de la raison d’être de Montefiore. Pas seulement parce qu’il y vade l’intérêt de notre pays, mais également parce que nous sommes convaincus que c’est de cette manière que nous créerons de la valeur pour nos investisseurs.
Quel regard portez-vous sur la BPI? Constitue-t-elle une forme de concurrence déloyale pour les fonds d’investissement ?
La BPI a de nombreuses missions différentes qui peuvent contribuer au développement de nos entre prises, notamment grâce à la mise à disposition de dette ou décapitai. Mais elle ne sera réellement utile que si elle agir en complément, et non en substitut, des dispositifs privés, qu’elle doit accompagner et accélérer. C’est dans cet esprit que nous avons noué des relations étroites avec elle. Cela dit, pour améliorer cette complémentarité, il importe de corriger rapidement l’anomalie qui consiste à exclure les sociétés détenues majoritairement par les fonds d’investissement de certains financements qu’elle propose. Toutes les études s’accordent en effet à dire que ces entreprises sont davantage créatrices d’emplois que les autres ! Encore une fois, il faut privilégier l’efficacité par rapport aux idées reçues d’hier.